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Quelques programmes...

Schumann, une autre idée du romantisme.

 

Robert Schumann

Lieder :

Spanisches Liederspiel

Op.74

In der Nacht                         

Op.35

Wanderlied        

Stille Liebe            

Erstes Grün     

Myrten

Op.25

Der Nussbaum 

Du bist wie eine Blume  

Liederkreis

Op.39

Mondnacht

Op.53 n°3

Der arme peter I,II,III 

Op.101

Mein schöner Stern !  

Drei lieder

Op.43

Wenn ich ein Vöglen wär

Herbstlied 

Schön Blümelein 

Une des particularités de la création musicale de Robert Schumann est d’avoir cloisonné sa production d’une manière quasi monomaniaque. Après avoir écrit  la quasi-totalité de son œuvre pour piano seul avant 1840 Papillon, Variation Abegg, le Carnaval, Fantaisie, Kreileriana…  il entame cette nouvelle décennie en composant en une année plus de 130 lieder, faisant naitre les plus beaux cycles (Myrthen, liederkreis, l’Amour et le Vie d’une femme, les Amours du poètes) puis une deuxième vague entre 1849-52 avec plus de 100 lieder. Après une année (1841) consacrée à l’orchestre, 1843 sera l’année de la musique de chambre avec ses Trois quatuors à cordes op.41, son quintette avec piano op.44 et son Quatuor avec piano op.47. Tout cela à Leipzig dans un contexte artistique assez particulier.

En effet cette capitale musicale européenne abrite deux clans bien distincts qui se revendiquent respectivement de Mendelssohn et Schumann.

D’un côté les schumanniens reprochent à Mendelssohn son caractère « pédant, phraseur, parleur-pour-ne-rien-dire, qui a camouflé le vide de sa pensée derrière l’habileté d’un travail purement formel ».

Les mendelssohniens quant à eux reprochent au modernisme de Schumann de « manquer de forme et de maitrise », de «  faire de la musique un art subjectif alors que les grands classiques nous ont légué l’exemple de l’objectivité ».  Il est vrai que l’audace formelle de certaines œuvres de Schumann, son rythme obstiné à la limite de la névrose, ainsi qu’un langage harmonique déroutant pour l’époque ne peuvent qu’horrifier un clan académique.

Bien que ces querelles puissent se révéler intéressantes, par le témoignage « historique » qu’elles constituent et l’éclairage contextuel qu’elles apportent, elles méritent toutefois d’être quelque peu tempérées quand on connaît l’admiration mutuelle que se vouaient les deux compositeurs. En 1837, Schumann écrit à propos de l’oratorio Paulus : « La musique de Mendelssohn mène au bonheur … ».

Qu’en est-il de celle de Schumann ? A vous de juger.

 

 

Rémy Cardinale

Brahms et la France, un long chemin vers la reconnaissance.

 

Johannes Brahms

Lieder :

Op.5

An eine Äolsharfe

op.43

Von ewiger Liebe 

Die Mainacht         

Op.47

Boschaft     

Sonntag      

Op.20

Die Meere  

Op.48

Gold überwiegt die liebe     

Trost in Tränen                      

Der Gang zum Liebchen       

Op.63

Meine Liebe ist grün             

Op.105

Wie Melodien zieht es mir                   

Immer leiser wird mein schlummer    

Op.61

Klosterfräulein      

Die Schwestern      

 

 

Il y a bien longtemps que Brahms est devenu un génie incontournable de la musique Allemande. Sa musique est au répertoire de tous les grands interprètes et les grandes salles du monde entier n’hésitent pas à programmer son œuvre.

En a-t-il toujours été ainsi en France ?

Il serait intéressant de revenir aux sources du succès incontesté de Brahms aujourd’hui. En replongeant dans certaines sources critiques, on peut constater que le chemin de la reconnaissance fut quelque peu parsemé d’embûches.

En voici quelques extraits :

 

Camille Saint-Saëns :

Je serai tant qu’on le voudra pour Wagner contre Brahms.

 

Edouard Lalo :

Esprit inférieur dont la pioche a sondé tous les coins du contrepoint et de l’harmonie moderne...ce n’est pas un homme né musicien…

 

Paul Dukas :

C’est toujours ingénieux, souvent intéressant, jamais émouvant, ni poignant.

 

Gabriel Fauré :

…de tout l’œuvre assemblé de Brahms, rien d’assez puissamment victorieux ne se dégage qui puisse nous courber au-delà d’une considération distinguée.

 

Darius Milhaud :

…la musique de Brahms m’échappe. J’y constate une fausse grandeur qui s’étire, une fausse sensibilité qui larmoie, d’immenses rabâchages dans les développements qui m’assomment. Et quand je dis que cette musique m’échappe, c’est qu’elle m’échappe vraiment, car il m’est impossible de la retenir.

 

Francis Poulenc :

…c’est un génie qui me laisse totalement indifférent. C’est trop lourd, et c’est trop long !

 

Comme le constate si bien Claude Rostand dans une des rares monographies sur Brahms en français : Au fond, c’est toujours à peu près le même refrain…allemand trop allemand ! chez des artistes ou des critiques qui, cependant, supportent allègrement et admirent la 9ème symphonie ou Parsifal.

 

Il aura bien fallu, du moins en France, plusieurs décennies avant que Brahms soit totalement apprécié à sa juste valeur. Nous pouvons aisément penser en parcourant de telles critiques de la part de si grands musiciens que la musique de Brahms n’avait jamais fait l’objet d’une grande attention. Tout ceci ressemble bien fort à des a priori injustes sur fond de chauvinisme.

 

 

L ‘amour pour la voix commence très tôt chez Brahms. Il y consacre dès son opus 3 six lieder. Cet intérêt pour ce style ne faiblira pas tout au long de sa vie, allant de grandes œuvres pour chœur accompagnées ou non accompagnées par un orchestre, aux lieder à une ou plusieurs voix accompagnés par un piano. Dans un sens, il se situe dans la grande tradition du lied Allemand. L’influence de Schumann y est frappante. Le soin apporté au contrepoint dans l'accompagnement de piano de certains lieder est le signe de l'intérêt qu'il portait pour ce genre. Le résultat sonore en est d'une confondante richesse harmonique, dépassant à merveille  le cadre habituel.

 

Afin d’introduire ces lieder, et de revenir à notre premier propos, je vous cite une dernière critique  écrite par Henry Gauthier-Villars, dit Willy : Quand aux mélodies de Brahms, Mlle Arcella Pregi a su rendre, avec précision, leur froide élégance ; l’une de ces romances est intitulée cocassement  « Mon amour est vert et ma tête est blanche ». Par ici les poireaux !

 

Rémy Cardinale

La  Société Nationale de Musique, 
Ars Gallica
 

Camille Saint-Saëns 

Mélodie :

Danse macabre  (A. Casalis)

L’attente  (Victor Hugo)

Aimons-nous (Th. De Banville)

César Franck 

Sonate en la majeur pour piano et violon.

Camille Saint-Saëns 

Sonate pour violoncelle et piano  n°1 op. 32.

Henri Duparc 

Mélodie :

L’invitation au voyage (Baudelaire)

La vie antérieure (Baudelaire)

Gabriel Fauré  

Mélodie :

Le papillon et la Fleur (Victor Hugo)

Tristesse (Gautier)

Nell (Lecomte de Lisle)

Après un Rêve (texte de Romain Bussine  président de la Société National de Musique)

Théodore Dubois 

Trio n°1 en do mineur violon, violoncelle, piano (1er et 3ème mouvement)

C’est au lendemain de la guerre de 1870 et dans une période encore très incertaine pour la toute nouvelle 3ème république que fût fondée le 25 février 1871 la Société Nationale de Musique, sous l’impulsion de Camille Saint-Saëns.

En effet, celui-ci fit naître, avec l’aide d’artistes dévoués et convaincus comme Romain Bussine, Edouard Lalo, César Franck, Gabriel Fauré, Jules Massenet…la Société Nationale de Musique qui avait pour unique but de faire entendre la musique de concert et de chambre française. Pour bien comprendre le besoin d’émergence et d‘émancipation qu’éprouvaient ces artistes français face à l’hégémonie de la musique de chambre germanique et leurs difficultés à s’imposer à une époque où la musique française n’était qu’un tremplin à la carrière de compositeurs lyriques, il faut lire ce que Camille Saint-Saëns écrivait en 1877 dans “le journal de musique”:

 

En littérature, il y a le théâtre, il y aussi le livre auquel il faut toujours revenir, quelques soient les puissantes séductions de la scène; dans la littérature musicale, la musique de concert et de chambre représente le livre avec son importance particulière, sa solidité et sa durée. Depuis peu d’années, on commence à comprendre cette vérité en France; ceux qui l’ont comprise les premiers ont été accusés de fausser l’esprit français, de faire du germanisme et de haïr le théâtre, accusation puérile dont le temps fera nécessairement justice. Ce qui est vrai c’est que dans peu de temps il y aura un répertoire de musique instrumentale française capable de lutter avec avantage dans le champ clos où, pendant longtemps, l’école allemande n’avait pas de rivale.

 

Rémy Cardinale

Les Suites de Bach de Bach selon Friedrich Grützmacher

En 1866 paraît chez Peters à Leipzig une nouvelle édition des Suites de Bach « revue et arrangée pour être exécuté aux concerts » par Friedrich Grützmacher.

 

Depuis leur composition dans les années 1720 plusieurs éditions des Suites ou plutôt comme on les appelaient alors des « Sonates » ou Études »  avaient déjà vu le jour:

 

-En 1824 à Paris chez Janet et Cotelle, la toute première édition :

« Après beaucoup de recherches en Allemagne, M. Norblin, de la musique du Roi, premier violoncelle de l’Académie royale de Musique, a enfin recueilli le fruit de sa persévérance, en faisant la découverte de ce précieux manuscrit »

 

-en 1825 à Leipzig, réimpression de l’édition de Paris par Probst.

-en 1826 à Leipzig chez Breitkopf & Härtel par J.J.F Dotzauer

-en 1864, à Leipzig chez Heinze, une version avec piano établie par Stade

 

Au 19ème siècle, les Suites de Bach étaient plutôt considérées comme des études, un répertoire technique et pédagogique intéressant mais que l’on pouvait difficilement jouer tel quel en concert.

Friedrich Grützmacher et Alfredo Piatti, moyennant quelques « petits arrangements » furent parmi les premiers à s’y essayer, en solo ou avec accompagnement de piano, quelques mouvements par-ci par-là, rarement une suite complète, ils rencontrèrent un certain succès mais il manquait définitivement quelque chose à cette musique pour ces violoncellistes du 19ème siècle épris de virtuosité et d’expressivité.

 

Arrangeur infatigable Friedrich Grützmacher (1832-1903), violoncelliste et compositeur, membre du Gewandhaus et professeur au conservatoire de Leipzig a fait éditer un grand nombre d’œuvres du 18ème siècle : J.S. Bach, C.P.E. Bach, Haendel, Boccherini, Tartini... Pour le meilleur et pour le pire ! Il est vrai que parfois le texte original est tellement « arrangé » qu’il en est presque méconnaissable !

 

C’est le cas des suites de Bach dans l’édition de 1866. Peut-être l’absence de manuscrit autographe lui a-t-elle donné l’autorisation de prendre de telles libertés ? Toujours est-il que Grützmacher n’a pas hésité à modifier profondément le texte de J.S Bach : dynamiques, articulations, nombreux ajouts d’accords ou de voix supplémentaires, modulations, transposition, rien n’était de trop  pour faire de ces études des pièces de virtuosité et de concert !

 

 

TRAHISON crieront certains !

Oui, c’est vrai Grützmacher est à l’opposé de notre démarche actuelle d’authenticité. C’est avant tout un interprète, un interprète-compositeur qui vit pleinement dans son époque. Son édition est plus une proposition d’interprétation qu’une publication objective du texte de J.S. Bach. L’inverse exact de l’ « Urtext » si cher à notre temps ! et sans aucun doute y-a-t-il beaucoup de mauvaise foi de sa part lorsqu’il se défend dans une lettre à son éditeur Peters  d’être au plus près de la pensée du compositeur, tout du moins en ce qui concerne J.S. Bach, peut-être était-il effectivement plus proche de Mendelssohn et de Schumann :

 

I could not have a more unhappy surprise than that contained in your letter... A work which has been done on my part with the greatest care and love you regard as a failure ? ... Some great masters like Schumann and Mendelssohn have never taken the time to notate all the indications and nuances necesary, down to the smallest detail. ... My main purpose has been to reflect and to determine what these masters might have been thinking, and to set down all that they, themselves, could have indicated. ... Regarding this activity, and relying on my long musical experiences, I feel I have more right than all the others to do this work. I have the approval of many renowned composers, but naturally, Schumann and Mendelssohn can no longer give theirs to me. ... I do not fear the opinion they could have had because when one has had –as I- the opportunity to play all types of music often, there is not a doubt that he in capable of doing this kind of editing. ... Schumann had no practical sense, soi t is indispensible not to correct but to complete the nuances. ... Who could possibly see anything in my work but a great deal of care and love, since it cannot be thought that it is done from a lack of knowledge. That would be censurable. ...

PS : My concert version of the Bach Suites,  which you likewise mention, cannot also be a subject of reproach since, in editing them, I not only tried to follow the same intentions of which I have just spoken but I succeded at it. I have reaped much success in presenting this edition in concert, something that would have been impossible with the bare original in its primitive state.

On voit bien ce qu’il y a de dangereux à suivre une telle logique! D’ailleurs, un an plus tard, en 1867, sans doute sous la pression de son éditeur, Grützmacher publiera-t-il une nouvelle édition. Plus sage et plus respectueuse du texte original elle conservera tout de même ses indications d’interprétation. C’est cette édition que Pablo Casals découvrira un peu plus tard dans une boutique de Barcelone, apportant ensuite aux Suites de Bach la renommée qu’on leur connaît aujourd’hui.

 

Ah, on sent bien que cette édition de 1866 sent un peu le souffre!

Non respect du texte, mise en avant de l’ego de l’interprète, autant de choses combattues aujourd’hui avec force et raison. Alors pourquoi vouloir jouer de nouveau cette version un peu subversive?

 

Tout d’abord pour qui s’intéresse à l’interprétation au 19ème siècle c’est une mine d’informations : Plus qu'aucune autre méthode, les indications  minutieusement notées de Grützmacher, doigtés, portamento, coups d'archet, articulations et nuances nous donnent une idée très claire de sa façon de jouer et du style de l’époque. En jouant les suites de Grützmacher, on est frappé par sa manière très emphatique de "parler" la musique typique du 19ème siècle et qui était encore celle de Pablo Casals au début du 20ème siècle.

 

Peut-être ensuite cette version des Suites nous permet-elle de retrouver un certain plaisir de l’interprète, celui d’interpréter justement !

J.S. Bach aurait-il été plus choqué par cette façon de jouer les suites que par la notre supposée plus authentique? Ou tout autant ? Ou moins ?

L’interprétation historiquement informée (comme elle s’appelle aujourd’hui)  nous mènent au plus près de la musique et du compositeur mais par sa recherche d’une version plus objective, plus « scientifique », plus « juste », elle tend peut-être aussi également à rendre la musique plus intellectuelle, détachée, idéalisée... Grützmacher nous rappelle avec force que la musique s’incarne, dans les hommes, dans le temps, dans une époque.

Après tout interpréter est l’histoire d’un instant, un moment éphémère et vivant, n’essayons pas de le graver définitivement dans le marbre.

Les Béatitudes d’un immigré
 
 
César Franck
 

Sonate pour violon et piano en la majeur

Quintette pour piano et quatuor à cordes fa mineur

Pourrions-nous imaginer musique plus passionnée, plus exaltée, plus enflammée que la musique de César Franck ? En effet dans ce programme, l’Armée des Romantiques aborde le paroxysme de la musique romantique française avec entre autre la célébrissime sonate pour violon et piano dédiée au grand violoniste Eugène Ysaye et son quintette pour piano et quatuor à cordes dédié à Camille Saint-Saëns.

 

César Franck né à Liège en 1822 est devenu citoyen français en 1871 pour pouvoir être nommé au poste de professeur d’orgue au conservatoire de Paris. Malgré ses études dans ce conservatoire  où il put s’imprégner pleinement de la culture musicale française dès l’âge de 15 ans, malgré son installation définitive à Paris en 1845 et sa naturalisation, ses détracteurs n’hésiteront pas à rappeler ses origines non française comme en témoigne une lettre adressée à Francis Poulenc le 23 octobre 1915 par Claude Debussy : « ... le respect que l'on doit à César Franck commande d'affirmer qu'il est un des plus grands musiciens flamands ». De même le musicologue Alfred Einstein le voit comme « le plus grand maître né à Liège », mais lui concède toutefois être « … la gloire et l'honneur de l'école instrumentale française du XIXe siècle ».

Il voit en lui un post beethovénien, ce qui en soit est une évidence en constatant son attirance pour la forme sonate, mais comme nous le rappelle Célestin Deliège, le traitement qu’il fait subir à la forme sonate ne retient que « des aspects partiels en rompant avec la logique traditionnelle par l'instabilité tonale des énoncés et un relatif collage des éléments thématiques ». A l’instar d’un Camille Saint-Saëns nous pouvons donc très aisément le rattacher à la tradition germanique, chose somme toute bien commune en ces temps de wagnérisme effréné en France.

 

 

L’influence de César Franck fut déterminante à plusieurs titres.

Sur le plan de l’enseignement il fit école, exerçant une véritable fascination sur toute une génération de compositeurs, la fameuse « bande à Franck » : Louis Vierne, Gabriel Pierné, Ernest Chausson, Henri Duparc, Vincent D’Indy…

Dans le domaine de la musique de chambre, il fut au sein de la Société Nationale de Musique l’un des grands novateurs en introduisant sa fameuse forme cyclique (principe faisant réapparaitre des thèmes dans chaque mouvement donnant ainsi une cohérence à l’œuvre).

 

Une chose est à noter  pour un musicien aussi expérimenté : ce n’est qu’en 1880, dix avant sa mort, qu’il connut le succès avec son quintette pour piano et cordes, ouvrant la porte à d’autres chefs d’œuvres tels que : les Djinns - poème symphonique avec piano principal d’après Victor Hugo - (1884), Prélude Choral et fugue (1884), les variations symphoniques pour piano et orchestre (1885), la sonate pour violon et piano (1886), la symphonie en ré mineur (1888), le quatuor à cordes (1889).

Ses premières pièces écrites pour harmonium datent de 1858 et il n’aura de cesse d’en composer tout au long de sa vie. En 1890 année de sa mort il entreprend d’en composer 100, il n’aura le temps d’en écrire que 63.

 

En guise d’avant goût musical citons quelques lignes de l’historiographe de Franck, Léons Vallas : « il offre à l’histoire le cas singulier d’un compositeur de souche germanique, de nationalité belge, qui dans les dernières années d’une existence modeste, effacée, a exercé sur la musique de la France, son pays d’adoption, une influence profonde et durable, directe ou indirecte. »

 

 

Rémy Cardinale

« Le vrai Bach est un Bach transcrit »

 

Camille Saint-Saëns 

Ouverture en ré majeur de la cantate BWV 28 et Andante (largo) de la 3ème sonate pour violon seul BWV 1005

Franz Liszt 

Fantaisie et fugue pour orgue en sol mineur BWV 542

Johannes Brahms 

Transcription de la chaconne  BWV 1004

Ferruccio Busoni

Choral :

Wachet auf, ruft uns die Stimme

Nun komm' der Heiden Heiland

Ich ruf' zu dir, Herr

Serge Rachmaninov

Suite de la 3ème partita pour violon seul BWV 1006 Prélude, Gavotte et Gigue en mi majeur

S’attaquer aujourd’hui au genre de la transcription qui plus est à celles d’œuvres de Jean-Sébastien Bach, père de la musique occidentale, n’est pas chose facile quand on sait avec quel mépris le monde actuel de la musique qualifie ce genre. Exercice scandaleux, infidèle au texte original, n’a au fond que très peu d’intérêt, en sont les plus récurrentes critiques de puristes autoritaires.

 

Essayons d’oublier de telles sentences, et posons-nous la question : pourquoi transcrire Bach au piano ?

Pour commencer,  il est grand temps de tordre le cou à une idée reçue très tenace, encore aujourd’hui. J.S. Bach n’est jamais tombé dans l’oubli. Le nom de Bach restera très célèbre après sa mort en 1750, en grande partie grâce à ses fils compositeurs, dont Carl Philippe Emmanuel Bach qui s’acharnera sa vie durant à faire entendre et connaître l’œuvre du Kantor, essaimant au gré de rencontres quelques œuvres de son père dont il hérita ou en publiant par exemple l’Art de la Fugue...

La situation au tournant du XIX siècle pourrait donc se résumer par cette formule : Bach, célèbre sans être connu ! En effet, célèbre comme figure historique et méconnu pour son œuvre. Il est important de rappeler que la pratique de l’époque n’est pas de rejouer la musique ancienne, à part quelques exceptions comme le clavier bien tempéré qui servira de référence didactique aux pianistes de la génération romantique, grâce à sa publication au alentour de 1800. La pratique de cette bible musicale « cela ne s’oublie jamais » confiera Chopin en 1839 à un de ses élèves, reste extrêmement présente pour l’éducation musicale des pianistes d’aujourd’hui.

 

« Le vrai Bach est tout d’abord un Bach transcrit » nous disent Joël-Marie Fauquet et Antoine Hennion dans leur ouvrage La grandeur de Bach. Voilà une piste de réflexion indispensable à intégrer  aujourd’hui et à élargir si nous voulons continuer à réfléchir sur ce besoin viscéral d’interpréter la musique ancienne. Comment expliquer ce que nous pourrions définir comme un paradoxe aujourd’hui à savoir que la production de transcriptions, arrangements, pastiches et autres adaptations de la musique de Bach s’accentue quand, à partir de 1850 commence la publication des volumes de la Bach-Gesellschaft qui mettra à la disposition des musiciens les premiers Urtext (textes originaux). La multiplication d’œuvres « impures » n’est pas une trahison  pour l’époque mais plutôt une traduction, une façon de rendre vivante une musique d’un autre temps, comme une paire de lunettes actualisée qui permettra au fil du temps l’émergence du Bach d’aujourd’hui. La devise de nos anciens serait «  moins c’est pur, plus c’est vrai » ce qui devrait  nous mettre en garde face à « l’épuration » musicologique qui nous amène  trop souvent dans l’impasse d’une pureté idéale fantasmée des œuvres classiques. N’oublions jamais que toute interprétation d’un texte musical est avant tout une transcription.

 

Mais comment jouer une musique inadaptée aux goûts et aux instruments de l’époque ? Les œuvres pour claviers de Bach sont essentiellement écrites pour clavecin et orgue. Comme nous le savons depuis la fin du XVIII siècle, le clavecin a fait place au tout nouveau pianoforte et l’orgue romantique n’est plus adapté à celui de Bach (rappelons qu’en général l’orgue français avant 1850 ne possède pas de pédalier à l’Allemande). La transcription, de fait devient un des meilleurs outils pour célébrer cette musique, une sorte d’avatar permettant de former le goût du public et celui de l’exécutant au « père fondateur de la musique ».

 

Camille Saint-Saëns est un de ces compositeurs, pianistes, et organistes à s’être attaqué à la transcription d’œuvres diverses de Bach - il publie deux volumes, successivement en 1862 et 1873, avec des cantates (œuvres pratiquement jamais jouées) et sonates pour violon seul - en essayant d’y retranscrire l’œuvre dans sa plus grande clarté. Travail qu’il jugera extrêmement difficile dans certains cas, si l’on en juge par l’extrait d’un article écrit dans un de ses essais Harmonie et mélodie : «  …reste à convaincre les exécutants, compte tenu des grands changements qu’ont subi les instruments…bien d’autres surprises nous attendent si nous ouvrons maintenant une partition de J.S. Bach. C’est tout un monde nouveau peuplé d’une faune et d’une flore inconnues. La flore, ce sont les harmonies bizarres et les mélodies d’une nature tout exceptionnelle. La faune ce sont les instruments…il faut tailler, rogner mutiler les œuvres pour les faire accepter. » Peut-être faut-il voir ici les limites de la transcription selon Saint-Saëns ou plutôt interpréter ces aveux comme des pièces servant à l’éducation des exécutants et du public.

 

Un autre exemple de compositeur célèbre, pianiste et organiste est celui de Franz Liszt qui transcrit pour piano six préludes et fugues et la fantaisie et fugue en sol mineur pour orgue. Son travail est relativement similaire à celui de Saint-Saëns pour faire sonner le piano comme un orgue en utilisant une technique d’écriture indécelable à l’oreille, nous faisant croire qu’il s’agit là de la simple transcription du texte original. Avouons que le résultat est particulièrement spectaculaire. Ici, il ne sera point question de paraphrase imposante lui servant à briller auprès d’un public en attente d’émotions fortes. Bach, rien que Bach. La célèbre anecdote relatée par le frère du critique et organiste Bonaventure Laurens au cours d’une rencontre avec Liszt en 1844 à Montpellier, nous révèle comment Liszt pouvait concevoir la transcription sous plusieurs facettes : «  Vous passez… pour un aussi grand charlatan que grand artiste !...j’ai à vous demander… de me faire entendre une certaine pièce de Bach pour orgue… celle en la mineur d’une difficulté dont vous seul au monde pouvez vous rendre maître…

- Tout de suite. Comment voulez vous que je vous la joue ?

- Comment ?... mais comme on doit la jouer !

- La voici une première fois comme l’auteur a dû, je crois, la comprendre, l’exécuter ou désirer qu’elle soit exécutée.

La voici maintenant comme je la sens, avec un peu de pittoresque, de mouvement, l’esprit plus moderne et les effets propres à l’interprétation d’un instrument singulièrement perfectionné.

Enfin, une troisième fois, la voici comme je la jouerais…en charlatan, pour un public à étonner, à esbroufer… »

 

Ces multi facettes conviennent parfaitement à la façon de procéder d’un Ferruccio Busoni. Ce brillant pianiste, et compositeur de moindre envergure n’aura de cesse d’osciller entre la pureté mêlée à la simplicité magique des chorals et la virtuosité exacerbée dans la spectaculaire transcription de la chaconne pour violon seul rappelant ainsi la grandeur universelle du Bach organiste.  

La virtuosité  de Johannes  Brahms dans sa transcription de la même chaconne est tout autre. Passons sur la raison première qui invita Brahms à écrire cette pièce pour main gauche seule à la demande d’un ami qui avait perdu l’usage de son bras droit, mais intéressons-nous à l’effet que produit une telle spécificité technique. L’original, la chaconne pour violon seul de Bach, est considéré comme l’apothéose du répertoire pour violon seul de cette époque en raison de son exigence technique, alternant le jeu monodique et polyphonique sur une durée exceptionnellement longue. La tension expressive qui en résulte est une des grandes spécificités de l’œuvre. La version de Brahms pour main gauche seule se contente de transposer la totalité de la chaconne à l’octave inférieure en respectant à la lettre l’écriture pour violon (hormis quelques rétrécissements de certains arpèges). Cette simple retranscription méticuleuse est la clé de ce défi réussi. En effet, la réelle difficulté qu’éprouve le pianiste en ne jouant ce monument qu’avec une seule main, restitue admirablement la tension émotionnelle ressentie au violon sans y avoir ajouté une note supplémentaire.

 

 

 

 

Nous avons vu jusqu’à présent tout un panel de transcripteurs qui, toutes proportions gardées, ont un certain souci de fidélité à l’œuvre originale, régime d’exception quand on pense aux autres compositeurs allégrement paraphrasés. Ils n’iront bien évidement pas jusqu’à s’interdire quelques interventions usuelles qui sont là comme une aide à la réalisation instrumentale (liaisons, nuances, modernisations des ornements, indications de tempo et expression, doigtés…) Bach garde ce statut sacré, d’une musique pure qu’on n’ose souiller par une modification harmonique par exemple. Et pourtant au cours du XXème siècle Serge Rachmaninov arrivera à s’approprier Bach en y donnant sa propre couleur harmonique. Sa version du prélude, gavotte et gigue de la 3ème partita pour violon seul reste un immense hommage au contrepoint de Bach tout en le substituant au sien. Il réussi un véritable tour de force en gardant la mélodie tout en retravaillant la texture et les sonorités autrement dit la couleur. Il se permet même d’y rajouter des contre mélodies  planant ainsi sur le chant premier. Nul doute en écoutant ces pièces que nous avons affaire à une nouvelle façon de transcrire Bach.

 

Ce programme ne représente aucunement tous les aspects historiques de la pratique de la transcription d’œuvre de Bach. Il est  fatalement partiel et sélectif, mais il nous permet par le biais de ces occurrences de comprendre comment au fil du temps les musiciens du XIXème siècle ont modelé la figure du maître Bach. Les exemples analysés ci-dessus, témoignent d’une certaine façon de faire, d’apprendre, de jouer, d’entendre, bref, d’aimer et faire aimer Bach. Aujourd’hui si ce dernier est considéré comme la colonne vertébrale de la musique occidentale, et continue à faire l’objet de tant d’intérêts chez les musiciens ou amateurs, c’est sans nul doute grâce à ce formidable trait d’union qu’est la transcription.

 

Rémy Cardinale

"Il n’y a pas besoin, de s’ouvrir la poitrine pour montrer qu’on à du

cœur" 

Maurice Ravel

 

Gaspard de la nuit pour piano

Sonate pour violon et violoncelle

Trio en la mineur pour violon, violoncelle et piano 

« L’anti-romantisme de Ravel a été une réaction contre le romantique qu’il aurait pu redevenir si sa volonté avait fléchi. » Cette phrase écrite par Vladimir Jankélévitch dans son essai sur Maurice Ravel souligne bien une problématique pour ce jeune compositeur du nouveau siècle. Comment tourner le dos au romantisme et est-il possible de s’en extraire ?

L’étude de sa vie par de nombreux témoignages montre bien un caractère discret, humble, mystérieux et extrêmement gentil. « Sa réserve et son extrême pudeur lui interdisent de se livrer, de se laisser deviner » raconte Marguerite Long, « dans la vie comme dans la musique il a horreur de cet étalage du moi qu’il reproche au romantisme ». Ne disait-il pas lui même « Il n’y a pas besoin, de s’ouvrir la poitrine pour montrer qu’on à du cœur ». Il paiera cher cette attitude qui lui donnera une réputation d’être insensible, froid et cérébral. Heureusement il n’y a qu’à écouter ses œuvres pour que opère le charme de sa musique.

Il est toute fois intéressant de constater par l’étude de certaines pièces qu’il se laissera prendre au piège de ce romantisme qu’il redoute tant. Une des œuvres les plus significatives dans ce domaine est Scarbo (3ème pièce de Gaspard de la nuit). Ne disait-il pas lui même être ravi d’écrire un pastiche du romantisme outrancier et de s’y être laissé prendre. Cette pièce redoutable qui faisait dire à Marguerite Long « qu’on compte les virtuoses qui on Scarbo dans les doigts » a tout les attraits de la virtuosité tant appréciée durant les plus belles années du romantisme. Comment ne pas voir un vibrant hommage aux études transcendantes de Liszt en écoutant Ondine, Sarbo, ou encore le Pantoum de son trio ? Sa virtuosité est clairement un héritage du romantisme. Signalons toute fois que la raison musicale l’emporte toujours sur la recherche acrobatique.

 

La « réaction contre le romantique qu’il aurait pu devenir » se manifeste dès ses premières compositions, comme en témoigne Gabriel Fauré son professeur de composition au conservatoire de Paris : « une nature musicale très éprise de nouveauté, avec une sincérité désarmante ». En effet si l’on pense à une de ses premières œuvres, La pavane pour une infante défunte, comment ne pas y entendre déjà la patte toute singulière d’un nouveau style. Il serait naïf   d’imaginer que son œuvre entière ne subit point les influences de son époque, qu’elles soient littéraires ou musicales : pensons à Chabrier, Satie, les Russes, le retour à Couperin, le jazz… mais il gardera son style, son langage, comme l’explique si bien Jankélévich : « Aucune influence ne peut se flatter de l’avoir conquis tout entier ; les styles nouveaux, on  dirait qu’ils éveillent en lui plus de curiosité technique que de réceptivité, modifiant son écriture mais non son langage, laissant pour toute trace ici un accord, là tel artifice d’instrumentation ou telle particularité d’orthographe. »

Un des aspects des plus paradoxaux chez Ravel est son obstination à vouloir remporter le premier prix de Rome  malgré  cinq échecs successifs de 1900 à 1905. Comme si la reconnaissance de l’institution avait plus de poids que son envie de modernité inadaptée au conservatisme d’un jury sans doute emprunt d’un romantisme vieillissant. « L’affaire Ravel » comme la presse du moment la nomma, contribua grandement à faire connaître son nom.

 

Sans rentrer dans une trop longue et exhaustive liste définissant le style si mystérieusement reconnaissable de Ravel, il est intéressant d’en dégager les caractéristiques les plus frappantes.

Les gageures qu’il s’imposa dans certaines de ses œuvres sont de véritables tours de force, comme par exemple la pauvreté mélodique de son si extraordinaire et si obsédant Boléro, l’aridité polyphonique de la sonate pour violon et violoncelle « badinage tortueux où deux voix contrepointées se poursuivent se traquent, se rattrapent, et se reperdent sans l’appui d’un accompagnement » ou l’hallucinant Gibet de Gaspard de la nuit relevant le défit de faire retentir cent cinquante trois fois un si bémol sur cinquante deux mesures.

De même on peut relever la manière si particulière qu’il a de rendre le rythme à la fois précis et fluide avec un goût typique pour les mesures impaires : 7/8 dans l’Heure espagnole, 9/8, 12/8 et même 15/8 dans le Placet futile ! ou le premier mouvement de son Trio à 8/8 ( 3+3+2) donnant un étrange et délicieux balancement basque.

Enfin son harmonie irrésistible ne peut laisser insensible toute âme récalcitrante à la musique moderne. Jouant à merveille avec la septième majeure dite autrement la fausse note… qu’on aime entendre au piano dans sa sonate pour violon et piano, et la seconde majeure utilisée dans des traits pianistiques joués avec le pouce sur deux notes à la fois que l’on aperçoit dans Scarbo.

 

Voilà avec quels outils cet homme si soucieux de bien connaître « son métier » comme il aimait le rappeler, a pu se dégager en partie du siècle romantique. Nous laisserons le mot de la fin à Ravel avec une phrase qui définit peut-être le mieux cette volonté profonde de s’écarter des « exaltations éloquentes de l’âme romantique » :

« Je ne demande pas que l’on m’interprète mais seulement que l’on me joue. »

 

 

Rémy Cardinale

La voix de Frédéric Chopin

 

Mazurka op. 17 n°4                     L’oiselet                                         Mazurka op. 7 n°2a

Aime-moi

Mazurka op.24 n°4

Seize ans

Mazurka op.24 n°3

Plainte d’amour

Mazurka op.17n°1

Coquette

Mazurka op.30n° 3

Faible cœur

La jeune fille

Mazurka op.67 n°4

Berceuse

Mazurka op.67n°3

La danse

Mazurka op.17n°2

Mazurka op.63 n°3 

La fête             

Debussy et l’institution

 

Charles Gounod 

ô ma belle rebelle  (Baïf)

Le soir (Lamartine)

Camille Saint-Saëns  

Andante tranquillo sostenuto (extrait de la 1er sonate violoncelle, piano op.32)

Rêverie (Victor Hugo)

L’attente  (Victor Hugo)

Théodore Dubois 

Andante Cantabile  (violoncelle et piano)

L’adieu  (Eugène Manuel)

Villanelle (Joachin du Bellay)

Gabriel Fauré 

Elégie op.24 (violoncelle, piano)

Le papillon et la fleur (Victor Hugo)

Après un rêve (Romain Bussine)

Claude Debussy  

Ariettes oubliées (Paul Verlaine)

Poisson d’or, pour piano (extrait du deuxième cahier d’Images)

Trois poèmes de Stéphane Mallarmé

Sonate n°1 en ré mineur pour violoncelle, piano

Après sa retraite forcée, qui dura presque deux ans de 1885 à 1887 à la Villa Médicis, Debussy revient à Paris, enfin libéré de la pensée académique de ses maitres. La vie musicale de cette époque est peu dynamique et se complait dans une certaine redondance. Debussy peut pratiquement y réentendre les mêmes programmes musicaux qu’avant son départ. Citons les propos de Chabrier dans ces années décrivant le contexte musical à Paris :

 

A l’Opéra, Gounod et La Patti s’exhibent, font recette. Massenet fait répéter « Esclarmonde » à l’Opéra-Comique, Saint-Saëns « Ascanio à l’Opéra ; Godard bâcle Dante (…) Lamoureux ne fait rien ; c’est devenu le concert des familles ; plus de chœurs, presque pas de chant ; il gagne de l’argent, il boulotte. Je le crois fatigué ; il se repose (…) Ils engraissent tous. On ne se fait plus de bile dans la maison ; il ravivaude tranquillement ces vieux programmes et le bourgeois s’y précipite…

 

Face à cette monotonie musicale, la résistance s’organise. Massenet occupe de plus en plus une place certaine sur la scène lyrique, les fervents défenseurs du Wagnérisme gagnent du terrain, la Revue Wagnérienne décide même d’arrêter sa publication considérant le combat comme gagné. La « bande à César Franck » détrône l’immense Saint-Saëns à la tête de la Société Nationale de Musique.

Et pourtant, à son retour de Rome, Achille Debussy, comme il se nommait encore à cette époque, préfère « la vie de café », aux salons bourgeois qui occupent à cette époque une place stratégique pour tout artiste voulant réussir. « Chez Pousset », « chez Thommen » ou autres « Chat noir » … seront des lieux de rencontres dans lesquels il peut échanger librement toutes sortes d’idées avec des hommes de lettres, des journalistes et des artistes tout en se liant d’amitiés avec certains.

 

Après ce bref contexte musical de la fin des années 1880, nous ne pouvons que constater que les précurseurs de jadis, emblèmes de la modernité, occupent à présent des postes importants au sein de l’institution musicale française. Certains, comme Saint-Saëns, Gounod ou Dubois, sont au jury du conservatoire ou du prestigieux Prix de Rome.  Rappelons pour mémoire, que Saint-Saëns en 1871 créait la Société Nationale de Musique afin de donner une véritable impulsion à la création musicale française. Ils sont à présent les garants d’un patrimoine artistique, d’un certain savoir faire qu’il faut transmettre et faire perdurer. Théodore Dubois membre du jury pour le concours d’essais de Debussy en juin 1881, portera l’appréciation suivante : 

 

« Tortillé, trop modulé, mauvaise voie ».

Et pour sa dernière partition pour la Villa Médicis « Printemps » symbolisant la fin de ses études, l’institution notera:

 

« M. Debussy ne pèche assurément point par la platitude et la banalité ; il a, tout au contraire, une tendance très prononcée à la recherche de l’étrange ; on reconnait en lui un sentiment de couleur et de poésie dont l’exagération lui fait facilement oublier l’importance de la précision du dessin et de la netteté de la forme. Il serait à désirer qu’il se tint en garde contre cet impressionnisme vague qui est un des plus dangereux ennemis de la vérité dans les œuvres d’art. »

 

L’Armée des Romantiques, qui a pour entre autres buts, de mettre en exergue les tensions esthétiques musicales du XIXème siècle, voudrait l’espace d’un concert, faire entendre l’opposition entre deux styles bien distincts. Malgré tant d’années passées au conservatoire, recevant la pensée d’un romantisme agonisant par le biais, plus ou moins direct, de Gounod, Saint-Saëns et Dubois, Debussy réussira à imposer son style révolutionnaire en faisant acte d’une résistance latente et obstinée.

Quelques années avant sa mort, en pleine notoriété, à l’heure où nous pourrions attendre de la part de Claude Debussy, une esquisse de remerciement ou d’hommage  envers l’héritage reçu par ses anciens maîtres, Debussy confesse au New York Times :

 

Pendant longtemps, je ne voulais pas étudier ce que je considérais comme des bêtises. Puis je réalisais que je devais au moins faire semblant d’étudier pour arriver au bout du conservatoire. J’étudiais donc mais tout le temps j’aboutissais à mes propres petites combinaisons (…) N’imaginez pas une seconde que j’aie jamais rien dit de cela. Je le gardai pour moi-même. Jusqu’à ce que je puisse donner une preuve de mes idées, je ne me souciai pas de parler d’elles.

 

 

Rémy Cardinale

Concert Zoologique 

 

Camille Saint-Saëns 

L’Attente  (Hugo) 

La Cigale et la fourmi (Lafontaine) 

Ernest Chausson  

Le Vert Colibri  (Leconte de Lisle) 

Les Papillons op.2  (Gautier) 

La Cigale op.13 (Leconte de Lisle) 

Emmanuel Chabrier 

Romances zoologiques  

Camille Saint-Saëns 

Le Rossignol 1892 (De Banville) 

La Libellule 1893 (Saint-Saëns) 

Ernest Chausson  

Fauve las  (extrait des Serres chaudes) 1896 (Maeterlinck) 

Camille Saint-Saëns 

La Coccinelle (Hugo) 

Maurice Ravel 

Les Histoires naturelles  (Jules Renard)

Francis Poulenc

Le Bestiaire (Guillaume Apollinaire)

 

L’intérêt chronologique de ce programme réside notamment dans la trajectoire qu’il présente, nous permettant ainsi d’envisager la mise en musique de textes « zoologiques » des années 1855 à 1919.

Cette balade musicale quelque peu fantasque se donnera donc également pour objectif de montrer l’évolution de la mélodie française, du romantisme français incarné par Saint Saens à la modernité déconcertante des Histoires Naturelles de Ravel, à l’origine d’une nouvelle bataille d’Hernani (Villermoz).

En outre, une telle approche permet de confronter les esthétiques de différents compositeurs au sein d’une même période, afin d’en faire ressortir les similitudes, mais aussi les divergences.   

 

Rémy Cardinale

Des mains de Haydn

 

Haydn-Beethoven

 

Ludwig van Beethoven

Sonate pour piano-forte avec accompagnement de violon et violoncelle op.1n°3 en do mineur (1793-94)

Joseph Haydn

Sonate  pour piano-forte Hob XVI :52 en mi bémol majeur  ( 1794)

Joseph Haydn

Sonate pour piano-forte avec accompagnement de violon et violoncelle Hob XVI :27 en do majeur. (1797)

Ludwig van Beethoven

Sonate  pour piano-forte dite « Clair de lune »  op.27 n°2 en do dièse mineur (1801)

« Cher Beethoven, vous allez maintenant à Vienne réaliser des souhaits longtemps inassouvis. Le génie de Mozart est encore en deuil et pleure la mort de son disciple. En l’inépuisable Haydn, il a trouvé un refuge, mais non une occupation ; par lui, il désire encore une fois être uni à quelqu’un. Par une application incessante, recevez l’esprit de Mozart des mains de Haydn. Bonn, le 29 octobre 1792, votre véritable ami, Waldstein. »

Tels étaient les mots inscrits sur l’album donné par ses amis et mécènes à Beethoven, la veille de son départ pour Vienne en 1792. Ce programme nous invite au cœur de la capitale musicale européenne au lendemain de la mort de son plus grand génie créateur : Mozart. Que pouvait donc espérer un jeune pianiste–compositeur, si ce n’est de recevoir « l’esprit de Mozart des mains de Haydn » pour être célébré à son tour ?

 

A l’arrivée de Beethoven en 1792, Haydn est au sommet de sa renommée, fort de sa première tournée en Angleterre. Il est donc essentiel pour le jeune prodige de Bohn de recevoir l’enseignement d’un tel maître afin de parfaire sa formation. Beethoven commencera les leçons en novembre 1792, et cela pendant quatorze mois, jusqu’en janvier 1794. La collaboration entre Haydn et Beethoven ne s’est évidemment pas limitée à de simples leçons : Haydn présenta son nouvel élève dans les milieux aristocratiques très influents de Vienne. Exploitant tous les avantages d’un telle transmission, il est fort probable qu’un élève comme Beethoven, véritablement doué, et, qui plus est, visionnaire, ait senti rapidement les limites d’un tel enseignement. Apprendre trop de Haydn l’aurait condamné à rester dans l’ombre de ce dernier et aurait inéluctablement constitué tôt ou tard une entrave à l’émancipation de ce nouveau génie.

 

Depuis la fin des années 1770, le pianoforte est l’instrument à la mode à Vienne et il ne laissera plus guère de place au clavecin, son ancien rival. Les compositeurs s’y intéressent de plus en plus  et ils n’ont de cesse de lui réclamer toujours plus. En ces deux plus illustres ambassadeurs que sont Haydn et Beethoven, ce programme propose l’espace d’un concert d’entendre quelques-uns des grands chefs œuvres du piano-forte dans tous ces états. De la sonate pour pianoforte seul ou accompagnée de divers instruments.

 

Rémy Cardinale

 


L’Armée des Romantiques  a voulu s’attarder sur l’amitié qui unissait Frédéric Chopin à la sœur de la Malibran, Pauline Viardot, aux multiples talents artistiques (à la fois compositrice, pianiste et aussi chanteuse) et dont la culture remarquable impressionnait grand nombre de ses contemporains. La collaboration artistique entre Chopin et Viardot donna naissance à la transcription pour voix et piano de quelques unes des plus célèbres mazurkas de celui-ci. Ces pièces sont plus que de simples transcriptions. En effet, en plus de faire connaître à un large public la beauté intimiste des mazurkas de Chopin, elles n’en sont pas moins un véritable exercice de virtuosité où toutes les capacités vocales de Pauline Viardot sont exploitées (ambitus de la voix exceptionnel, ajouts de cadences).Toutefois elle va aussi plus loin, en en prenant littéralement possession. Effectivement, elle rassemble, mélange, les thèmes des mazurkas originales. Pour d’autres, elle nous offre un vrai travail de composition, en ajoutant une mélodie supplémentaire, nous proposant alors une perception tout à fait nouvelle de ces célébrissimes mazurkas.
Il nous a aussi semblé intéressant de les coupler à d’autres mazurkas pour piano seul dans le but, d’une part de symboliser cette belle amitié par le biais d’un va-et-vient constant entre les Mazurkas de Chopin et de Viardot mais aussi pour révéler, malgré le contentement avéré de Chopin sur ces pièces, la rivalité sous-jacente qui naît du succès grandissant de ces transcriptions. En effet, Chopin dans une lettre datant de  juin 1848  à Marie de Rozières  laisse transparaître un léger agacement:

“ Maintenant sur les programmes il n’y a plus Mazourkas de Chopin, seulement Mazourkas arrangées par Mme Viardot, il paraît que c’est mieux. Cela m’est égal, mais il y a une petitesse là dessous. Un journal dit qu’elle a chanté la musique d’un certain Mr. Ch. que personne ne  connaît et qu’elle devrait chanter autre chose, etc.”
                                                                                        

Rémy Cardinale

 

La musique de l’avenir

 

Franz Liszt (1811-1886)

 

-Première Elégie composée en 1874 (violoncelle, piano)

-Liebestraum  composée en 1850 (piano)

-O du mein holder Abendstern – Récitatif et Romance d’après l’opéra Tannhäuser de Richard Wagner composée en 1852-(violoncelle, piano)

-Rapsodie hongroise XII composée en 1850 (violon, piano)

-Années de Pèlerinage, La Suisse: La vallée d’Obermann composée en 1848 (piano)

-La lugubre gondola composée en 1882 (violoncelle, piano)

-Die Zelle in Nonnenwerth composée en 1883 (violon, piano)

-Rapsodie hongroise IX  Le carnaval de Pest composée en 1850 (violon, violoncelle, piano)

Le bicentenaire de la naissance de Franz Liszt fêté en 2011 a permis, grâce à la réédition d’une grande partie de ses œuvres oubliées, de sortir de l’ombre tout le travail extraordinaire de sa musique de chambre et de ses lieder. Qui se souvient que Liszt est l’auteur de pièces pour violon, alto, violoncelle, d’un trio violon, violoncelle et piano ou de plus de 80 lieder ? Ce corpus étonnant, pièces parfois courtes, denses, acrobatiques ou élégiaques, a comme point commun l’originalité du style et de la forme.

Après la carrière hors norme de pianiste virtuose qu’il exerça pendant presque deux décennies entre 1830 et 1848, jouant toutes sortes de pièces de bravoures, de genres, transcriptions et autres paraphrases d’opéras, plaçant le nom de Liszt au sommet du panthéon des pianistes, le temps fut venu pour lui de se tourner vers une carrière de chef d’orchestre et de compositeur.

Weimar fut le point d’encrage de ce nouveau départ. C’est là qu’il défendra « la musique de l’avenir », la sienne et celle de ses amis: Wagner, Berlioz, Bülow, Raff, Joachim… contre les partisans de la tradition qui lui menèrent la vie dure. Oscar Comettant, commentateur musical français de cette époque, traduit à merveille cette fronde menée par les conservateurs:

 

Pour les artistes qui tentent la réforme musicale en Allemagne, l’art musical est encore dans les limbes (…) les apôtres de la nouvelle école allemande font de la poésie et de la musique une seule et même langue; absurde tentative dont le résultat serait nécessairement l’anéantissement de la musique comme art indépendant, et qui appliquée au drame lyrique, produit cette monstruosité qu’on appelle la « mélodie infinie », c’est à dire la négation de toute mélodie.

 

Ce bouleversement musical que nous décrirons plus tard, occasionnera dans le temps des attitudes assez contradictoires de la part d’amis musiciens comme Berlioz qui n’hésiteront pas à rejeter l’esthétique de Liszt après l’avoir loué. Brahms et Joachim (célèbre violoniste, compositeur, ancien ami et protégé de Liszt) avec le soutien d’autres musiciens iront jusqu’à signer un manifeste dirigé contre la musique de l’avenir.   

Du coté du public, les louanges anciennes de ces dernières années ont fait place aux critiques ou mieux à l’incompréhension. Sans doute ne lui pardonne t-on pas d’avoir abandonné le champ de la scène, comme le constate Richard Wagner dans une lettre écrite en 1856 : 

 

Il (le public) le connaît comme virtuose, comme un virtuose de la plus brillante et la plus glorieuse carrière ; et cela lui suffit pour savoir ce qu’il doit penser. Or, il est déconcerté par l’abandon de cette carrière par Liszt, et par sa profession décidée de compositeur : que doit-il en penser ? 

 

En effet, que doit-il penser de ce nouveau Liszt compositeur qui, au cours de sa retraite à Weimar en 1848, composa la plupart de ses chefs-d’œuvre : Années de pèlerinages, Rhapsodies hongroises, Sonate en si mineur, Liebestraum, Mephisto-Valses, les deux concertos pour piano, les Poèmes Symphoniques, Lugubre gondole… ?

Une analyse défendant les Poèmes Symphoniques de Liszt (facilement transposable sur l’ensemble des ses autres œuvres), nous éclaire sur la perception à l’époque de ce nouveau style dans un essai de critique musicale en 1870 par Louis-Léon  : 

 

…ce qui caractérise d’une manière toute particulière les « Poèmes Symphoniques », c’est le développement de l’idée principale qui au premier abord, paraît étouffée sous une harmonie sans cesse modulante, bizarre et capricieuse, emportant l’auditeur sans lui laisser la possibilité de s’accrocher à un de ses accords vulgaires que l’oreille semble toujours attendre pour se reposer. Sous cette riche harmonie (…) le thème présenté au début serpente alors prenant mille formes diverses. Puis, brisant tout à coup le fil qui semblait relier entre elles les différentes phrases, un nouveau motif, sans parenté sensible avec le début, se fait jour et se superposant vers la conclusion, à l’idée première, produit alors un ensemble grandiose dont la puissance vous émeut et vous pénètre profondément. 

 

On comprend après cette fine étude du style de Liszt, qu’un public nourri de tradition ne peut qu’être troublé voire perdu dans ce monde musical transformé. Il n’est plus question ici de sonates à plusieurs mouvements, avec de grands développements, de mélodies accompagnées par des harmoniques connues à la manière d’un génial Mendelssohn digne défenseur des grands maîtres classiques, mais plutôt de la recherche d’une musique évoquant l’instant, le souvenir, des paysages, avec de nouvelles harmonies augmentant le prisme de la palette sonore.

 

Après ce nécessaire détour historique venons-en enfin à notre programme autour d’œuvres de Liszt consacrées à des pièces connues des amateurs de la littérature pianistique mais qui ont pour certaines d’entre elles la forme chambriste. Comme nous l’évoquions en préambule, la musique de chambre de Liszt pourrait être considérée comme anecdotique face à l’immense production pianistique et paraître sans saveur quand on sait que ces pièces sont pour la plupart des transcriptions de pièces écrites pour piano seul. Mais à y regarder de plus près, nous constatons avec étonnement et émerveillement que Liszt ne prit pas ce genre de la transcription à la légère. Il fit un vrai travail de recomposition en prenant compte de l’apport dramatique et musical d’autres instruments. L’exemple des multiples transformations qu’a subi la première Elégie est symptomatique d’un Liszt explorant les voies de la couleur. En effet cette œuvre composée 1874 à la mémoire de Marie Moukhanoff-Kalergis ayant reçu comme titre original La berceuse dans la tombe fut l’objet de recherches constantes avec cinq propositions différentes:

- piano solo

- violoncelle/piano

- violon/piano

- violoncelle/piano/harmonium/harpe

- deux pianos

 

La Rhapsodie hongroise XII pour violon et piano et la Rhapsodie hongroise IX pour violon et violoncelle gardent les thèmes initiaux inchangés mais retravaillés, remodelés, avec un agencement parfois différent répartissant la virtuosité à chaque instrument faisant de ces pièces les œuvres de musique de chambre les plus virtuoses jamais composées pour des instruments à cordes. Les déclarations de Liszt comme quoi l’écriture du violon et du violoncelle avaient été pour une grande partie réalisée par son ami Joachim sont une preuve supplémentaire de sa grande humilité et de sa magnanimité auprès de ses protégés, car il est largement prouvé aujourd’hui qu’il en est pour la plus grande partie l’auteur.

Comment ne pas être touché par le traitement mélodique du violoncelle dans l’air O du mein holder Abendstern de Tannhäuser qui personnifie d’une manière très émouvante le personnage de Wolfram. Ce même violoncelle dans La lugubre gondole amènera un relief  différent avec une couleur morbide à cette pièce composée en 1882 à Venise chez Richard Wagner, comme un incroyable présage quelques mois avant la mort de ce dernier.

 

Cette redécouverte de ce répertoire inattendu plus d’un siècle et demi après sa création montre à quel point toute une partie de son œuvre s’est révélée inacceptable à l’ensemble du monde.

 

Tout le monde est contre moi. Catholique, car ils trouvent ma musique d’église profane, protestants car pour eux ma musique est catholique, franc-maçons car ils sentent ma musique cléricale ; pour les conservateurs je suis un révolutionnaire, pour les « aveniristes » un faux jacobin. Quant aux Italiens, malgré Sgambati, s’ils sont garibaldiens ils me détestent comme cagot, s’ils sont côté Vatican, on m’accuse de transporter la grotte de Vénus dans l’église. Pour Bayreuth, je ne suis qu’un publicitaire. Les Allemands répugnent à ma musique comme française, les Français comme allemande, pour les Autrichiens je fais de la musique tzigane, pour les Hongrois de la musique étrangère. Et les juifs me détestent, moi et ma musique, sans raison aucune.

 

Rémy Cardinale

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